Force Ouvrière de Côte d'Or

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LE PATRONAT CACHAIT UNE CAISSE DE GRÈVE

Publié le 6 Novembre 2007 par UDFO21 in FO Presse - communication

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Enquête parue dans Force Ouvrière hebdomadaire n°2822

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Le patronat rénove sa lutte des classes. Au moment même où était révélée l’existence d’une caisse de grève chez les employeurs de la métallurgie, le MEDEF annonce qu’il exige que soit mis fin à ces pratiques et qu’il faut partout des «comptes certifiés». Y compris pour les syndicats de salariés. Les méthodes de la «créativité comptable», qui ont fait merveille chez Enron ou chez les initiés des grandes entreprises, devraient régir les organisations de travailleurs. Pour FO, garantie de l’indépendance, ce sont les syndiqués eux-mêmes qui doivent juger les comptes et l’action de leurs dirigeants.

Argent liquide. Coffre métallurgique. Sous l’idéologie évanescente de la communauté d’intérêts entre l’employeur et son salarié, se cachait cette réalité concrète de la lutte des classes et des moyens sonnants et trébuchants de la mener. Au patronat, ce nerf de la guerre ne fait pas défaut, tout le monde le sait depuis longtemps. La nouveauté, c’est qu’un journal comme Le Figaro révèle les aventures étranges par lesquelles la caisse de grève de l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM, patronale) se trouve sous l’œil de la justice.

L’histoire a commencé le 26 septembre. Le quotidien du matin nous apprend qu’un organisme nommé Tracfin est sur la piste des millions d’euros que le président de l’UIMM, M. Denis Gautier-Sauvagnac, a fait retirer en liquide de la banque qui tient certains de ses comptes. De fil en aiguille, de perquisitions en confidences et en attaques collatérales contre les syndicats, on apprend que le MEDEF est scandalisé. Tout cet argent a, selon les premières déclarations du président de l’UIMM, servi à «fluidifier le dialogue social». De là sont apparues des accusations et des insinuations qui faisaient des syndicats les bénéficiaires de ces flux financiers. Les syndicats ont tous démenti et se sont étonnés d’être sous le feu alors que c’est l’UIMM qui faisait l’objet d’une enquête préliminaire du parquet de Paris. Cette enquête a été ouverte à la suite d’un signalement de la cellule «Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins» (Tracfin) dont le directeur, M. Werner, affirme que «la première déclaration de soupçon remonte à mai 2004». En fait, la série des retraits en question signalés par la banque a commencé en 2000. Au 21 octobre, les investigations avaient mis au jour des retraits sur différents comptes, entre 2000 et 2007, d’un montant total estimé entre 15 et 20 millions d’euros. Et l’affaire éclate en 2007, lancée par une «cellule», Tracfin, créée pour déjouer le blanchiment des profits de la drogue et du proxénétisme.

Toujours est-il qu’une violente polémique s’est développée au sein du MEDEF, dont la présidente a estimé, le 8 octobre dans une interview aux Échos, qu’il est «absolument aberrant que certaines organisations syndicales et professionnelles n’aient pas de comptes certifiés». Cependant, tous reconnaissent que les retraits d’argent sur les comptes de l’UIMM ne peuvent avoir eu pour objet l’enrichissement personnel de son président. Il s’agit de tout autre chose. En effet, le 23 octobre était officialisée l’existence d’une caisse de grève au sein de l’UIMM. Son président, en annonçant sa démission, reconnaît devant quelques journalistes qu’une caisse de grève a été mise en place en 1972, à la suite de la grève généralisée de 1968. Cette «EPIM» (Entraide pour les industries de la métallurgie) était alimentée par des cotisations volontaires d’entreprises qui y versaient 0,2 puis 0,4 pour mille de leur masse salariale. Pour quoi faire? Pour soutenir les entreprises qui ont subi des dommages lors de conflits sociaux. Des pertes de commandes, de chiffre d’affaires. Deux cent quatre-vingt-dix millions d’euros ont été recueillis par l’UIMM. «170 millions ont été utilisés depuis trente-cinq ans pour indemniser les entreprises», et les 120 millions restants, une fois placés, ont permis d’atteindre la modeste somme de 600 millions. D’euros.

Sauf pour les montants, c’est l’exact symétrique des caisses de grève que les syndicats ouvriers ont constituées dès leur naissance. Illégales alors, et très sévèrement réprimées jusqu’à la loi de 1884 qui admet que «les syndicats professionnels de patrons ou d’ouvriers pourront, sans autorisation, constituer des caisses spéciales de secours mutuels». Ainsi la polémique a-t-elle conduit la plus puissante des fédérations du patronat à reconnaître la pratique de la lutte des classes, qu’elle nie officiellement dans ses discours, où est toujours chanté l’air de la communauté d’intérêts entre le patron et son salarié.

Mais, par un retournement stratégique spectaculaire, le patronat a mis à profit la crise qui s’est développée et dont la source d’information est assez mystérieuse, pour modifier ses structures officielles. Les caisses noires, c’est fini! Les comptes seront certifiés! Et pour cela, il faut revoir la loi de 1884. Il est difficile de ne pas voir dans ce renversement un effet de la lutte qui s’est menée entre le secteur des services et celui des industries pour la présidence du MEDEF. Ironie de l’Histoire, ce sont les méthodes par lesquelles les services s’illustrent dans les affaires, la comptabilité, la certification des comptes, les finances et l’assurance, bref tout ce qui touche au maniement des capitaux, que la présidente veut instaurer comme règle pour le fonctionnement des organisations patronales. Les comptes certifiés partout! Une sorte de prise de pouvoir des experts-comptables, des commissaires aux comptes, des audits financiers sur toutes les instances. L’expression «comptes certifiés» a beaucoup d’avantages dans ces circonstances. Elle laisse entendre qu’avant, les comptes n’étaient pas certains... Pourtant, si les comptes de l’UIMM ne sont pas «certifiés», ceux des quelque 1 800 entreprises qui cotisaient à la caisse de grève, bénéficiaient, eux, de ce label: le patron et le conseil d’administration, si tatillons quand il s’agit de cotisation de protection sociale, ne pouvaient rester aveugles devant une «surcotisation».

Le plus audacieux de la démarche est que le MEDEF étend ses prétentions aux comptes des syndicats. Il fait d’une pierre deux coups: il jette le doute sur des comptes vérifiés par les syndiqués eux-mêmes et par leurs élus et, surtout, il fait entrer les syndicats dans la sphère de fonctionnement des entreprises. Ils deviendraient des sociétés de service parmi les autres, éventuellement des organisations non gouvernementales (ONG), en tout cas tout sauf des organisations de défense des intérêts particuliers des salariés. En effet, la certification des comptes n’est pas neutre. Il s’agit d’une formalisation qui répond à des objectifs, à des normes. Ainsi, comme le relève une ins-titution discrète mais efficace, l’École de guerre économique, «schématiquement, la comptabilité américaine mesure la valeur d’une entreprise dans l’optique de sa cession, alors que l’européenne en vérifie la capacité à tenir ses engagements et à maintenir son exploitation. D’un côté, prévaut le souci de l’actionnaire, de l’autre celui de l’entreprise et de ses créanciers...». L’affaire Enron montre à quel point le souci des salariés et de leurs retraites intervenait dans cette comptabilité. En France, les salariés d’Airbus peuvent légitimement douter que la certification des comptes leur ait été utile.

C’est que le problème n’est pas là, pour le MEDEF, qui veut un bouleversement complet des relations sociales, et qui ne le cache pas. Sa présidente a estimé, le 26 octobre, dans une interview au Parisien, qu’il faut «poser les problèmes de la transparence financière, des modalités de financement, de la représentativité et de l’espace contractuel des organisations syndicales et patronales». «N’ayons pas peur de nous demander si nous ne devrions pas favoriser une recomposition du paysage syndical.»

C’est qu’en effet, pour modifier la nature des syndicats, il faut en finir avec le syndrome de la caisse de grève, qui est le plus parfait symbole du conflit. Mais la démarche est incertaine. IG Metall, le syndicat ouvrier de la métallurgie en Allemagne, est hautement admiré, dans les sphères dirigeantes, surtout quand il signe des accords avec la branche patronale. Mais on sait trop peu qu’il s’est doté d’une caisse de grève, dont le montant fait partie des secrets les mieux gardés du pays. Tout se passe comme si le MEDEF demandait aux syndicats d’abandonner cette prérogative, parmi d’autres. Obliger une confédération à certifier ses comptes, c’est les rendre publics et les donner au jugement des non-syndiqués, des syndicats concurrents et même du patronat et de l’État. C’est limiter la liberté de chacune de ses composantes d’administrer librement leurs cotisations, pour se plier aux règles du monde des entreprises capitalistes. Pour le MEDEF, adopter ces règles n’est finalement qu’un jeu d’écritures auquel des armées de commissaires aux comptes sont en mesure d’apporter toutes les ressources de la «créativité compable» qui a fait merveille chez Enron. Pour les syndicats, ce serait aliéner leur capacité d’agir librement, donc de passer des accords positifs pour les travailleurs.

Hasard de calendrier? Le 4 octobre, M. Denis Kessler, ancien numéro deux du MEDEF, lançait, dans Challenges magazine, une vive diatribe contre le programme du Conseil national de la Résistance: «Ce compromis, forgé à une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc.» Avec l’insolence d’un éditorialiste qui n’est pas soumis aux nécessités tactiques du MEDEF, M. Kessler exprime-t-il l’option fondamentale de son camp? La référence à la Résistance évoque fâcheusement l’Occupation qui l’a précédée. Une période où il est heureux que l’administration de l’État n’ait pas disposé des comptes «certifiés» des confédérations ouvrières et des listes de leurs adhérents.

Jean-Pierre Alliot
 
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