De grandes entreprises viennent de connaître une série inquiétante de suicides au travail… Pourtant, la prise en compte par le Code du travail des risques psychosociaux reste très générale et relativement méconnue. Comptez-vous renforcer l’arsenal législatif et réglementaire ?
En matière de lutte contre les risques psychosociaux dans l’entreprise, il existe déjà un arsenal législatif et réglementaire. Par exemple, le Code du travail prévoit
l’obligation pour l’employeur d’évaluer l’ensemble des risques professionnels dans le « document unique » du personnel. Il existe également un droit d’alerte pour les membres du CHSCT et les
délégués du personnel en cas de danger grave et imminent. Mais aujourd’hui ces dispositifs ne semblent pas suffisants et il faut aller plus loin. Je souhaite que ces mesures soient renforcées.
Lors de la conférence sur les conditions de travail du 4 octobre 2007, j’ai mis cette question sur la table pour en discuter avec les partenaires sociaux afin de renforcer le rôle et le
fonctionnement des CHSCT et de réformer les dispositifs d’alerte.
Le rapport de MM. Nasse et Légeron va nous permettre d’avancer sur ce sujet. Pour la première fois, il propose de mener une enquête nationale pour mesurer globalement le stress en France.
L’enquête permettra d’obtenir une « photographie » annuelle du stress au travail et de ses conséquences sur la santé. Les secteurs d’activité et les branches où le stress est supérieur à la
moyenne nationale seront ainsi identifiés. Je veux mettre en débat l’idée que dans les branches où ce constat sera fait, la négociation soit rendue obligatoire pour la détection et la
prévention du stress. Il faut pourtant être clair : les risques liés au stress ne sont pas les mêmes d’une entreprise à l’autre. Nous n’avons pas encore de diagnostic précis en matière de
stress au travail et cette enquête doit être menée à l’intérieur des entreprises en impliquant l’ensemble des acteurs : mettre en place des dispositifs contraignants pour les entreprises ne
servirait à rien dans la situation où l’on se trouve. Je pense que mener une politique de prévention et de sensibilisation est dans un premier temps indispensable avant d’interdire et
d’imposer. Les réformes qui ont impact sur le comportement sont les seules réformes qui marchent à long terme. Il faut faire comprendre aux entreprises que la prise en compte du stress est
nécessaire et indispensable et que c’est de leur intérêt à la fois social et économique.
Le rapport se montre très prudent sur la question d’une possible reconnaissance du stress au travail comme maladie professionnelle. Y êtes-vous favorable ?
Le stress n’est pas une maladie : ce sont les conséquences du stress qui, associées à d’autres facteurs, peuvent être pathogènes et entraîner des maladies chez les salariés les plus exposés. Il faut donc regarder si les pathologies qui se manifestent, comme les TMS, la dépression, le risque cardio-vasculaire ont pour origine des facteurs de stress ou sont les conséquences d’autres facteurs. En effet, le stress est un phénomène difficile à définir et à appréhender. Chacun réagit de manière différente : les changements organisationnels, la pression sur les résultats, l’insuffisance de moyens, le manque de reconnaissance, un management déficient peuvent être des sources de stress devant lesquels nous sommes tous inégaux. L’intensification du travail est une réalité : la concurrence s’est accrue, les modes d’organisation ont changé. Dans le domaine du stress, je pense que l’information précède l’action : on ne traite bien que ce qu’on connaît bien. Nous devrons avant toute chose en discuter avec les partenaires sociaux.
Le rapport propose d’étendre le droit d’alerte du CHSCT aux risques graves liés à l’organisation et l’intensification du travail et à des modes de management non respectueux de l’individu. Qu’en pensez-vous ?
J’y suis favorable. Lors de la conférence sur les conditions de travail du 4 octobre 2007, j’ai mis ce sujet au cœur des négociations dont j’ai souhaité le lancement
prochain. Le fonctionnement des CHSCT et les rôles de leurs membres doivent être renforcés. Je pense notamment à l’allongement de leur mandat, à l’amélioration de leur formation et au
renforcement des dispositifs d’alerte. Il faut aussi penser aux petites entreprises, et lors de la conférence, la question de la création d’un cadre de dialogue social sur les conditions de
travail dans les TPE a été évoquée et je souhaite là encore qu’une négociation soit lancée par les partenaires sociaux. J’espère que la deuxième conférence sur les conditions de travail, qui
aura lieu en avril prochain, permettra d’avancer sur tous ces points. Sur ces sujets, la balle est dans le camp des partenaires sociaux.
Des négociations doivent s’ouvrir entre les partenaires sociaux pour transposer les accords européens de 2004 sur le stress et de 2007 contre la violence et le harcèlement au travail. Qu’en attendez-vous ?
Je souhaite que cet accord de 2004 soit transposé rapidement car il est une première étape indispensable. En réussissant à identifier plus précisément le stress, il permet
d’en donner une définition précise. Selon cet accord, le stress apparaît principalement lorsqu’un salarié ne réussit pas à faire face aux exigences et aux attentes qu’on a de lui. À partir de
ce constat, il insiste sur l’exigence de prévention au sein des entreprises, qui interviennent souvent lorsqu’il est trop tard. L’accord européen met aussi le doigt sur la responsabilité de
l’employeur dans la lutte contre le stress. Les partenaires sociaux en France se sont engagés à transposer cet accord, ce n’est pas encore fait et je le regrette. Je leur ai envoyé le 17
janvier une lettre pour leur faire part de mon empressement et leur demander d’accélérer cette transposition. La première réunion sur ce sujet aura lieu le 7 avril. Chacun doit se mobiliser
pour que, à la veille de la présidence française de l’Union européenne, des mesures contre le stress au travail soient prises rapidement. Nous devons mettre la France au niveau des standards
européens mais aussi aller plus loin et atteindre le niveau des pays qui sont les plus avancés : les pays scandinaves, la Grande-Bretagne et outre-Atlantique, le Canada.
En ce qui concerne la violence et le harcèlement au travail, qui peuvent être à l’origine du stress mais qui sont un sujet différent, il existe déjà des normes dans notre pays et il nous reste
encore trois ans pour transposer l’accord de 2007. Soit au niveau national dans le Code du travail, soit dans le cadre de certains accords interprofessionnels, le dispositif contre la violence
et le harcèlement est plus abouti que celui concernant le stress. Certaines entreprises décident aussi d’aller plus loin : dans l’accord signé par le secteur bancaire par exemple, on retrouve
des choses très intéressantes pour la prise en charge des victimes de violence. Dans le domaine du stress je veux que la démarche soit la même : que les entreprises puissent s’inspirer de
celles qui sont pionnières. Je crois beaucoup à et égard à la diffusion des bonnes pratiques.
Quelles suites entendez-vous donner au rapport Nasse-Légeron ?
Je veux d’abord mettre en place rapidement la principale mesure du rapport : celle de créer une enquête nationale permettant de mesurer globalement le stress en France en
croisant l’état de santé des salariés et leurs conditions de travail. Les premiers résultats de cette enquête pourraient être connus début 2009. Cette proposition sera soumise aux partenaires
sociaux lors de la prochaine conférence sociale sur les conditions de travail, que je souhaite réunir en avril prochain.
Ensuite, la question du suicide doit être abordée sans tabou : je souhaite qu’une veille épidémiologique des suicides au travail soit mise en place dès l’année prochaine et confiée à l’InVS, en
liaison avec les services de santé au travail et la Cnam. Nous ne devons pas non plus oublier les TPE/PME pour lesquelles nous créerons un portail Internet qui inclura un volet spécifique sur
le stress et où seront mis à disposition de tous (entrepreneurs, salariés, syndicats, médecins etc.) des guides méthodologiques, des référentiels et des exemples de bonnes pratiques, ainsi que
les résultats de l’enquête nationale. Enfin, nous renforcerons le rôle des services de santé au travail en mettant en place des outils de diagnostic pour les médecins du travail en vue de les
sensibiliser sur le risque mental. Des cellules de médiation ont déjà été créées par certains services de santé : de telles expérimentations doivent être encouragées.
Liaisons Sociales Quotidien, 13/03/2008
Document(s) joint(s) :
Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail
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