L'UNION DEPARTEMENTALE FORCE OUVRIERE DE COTE D'OR COMMUNIQUE :
Lettre ouverte de Jean-Claude Mailly
à Laurence, Bernard et François (1)
parue
dans « Le Parisien aujourd’hui ». 9 juin 2008
Je m’adresse, aujourd’hui, aux signataires de la position dite commune sur la
représentativité syndicale.
Vous connaissez tous trois les raisons pour lesquelles Force Ouvrière, non seulement n’est pas
signataire mais est très critique sur ce texte. Nous avions accepté de revoir les règles de la
représentativité mais avec des critères et une logique différente. Je ne m’étendrai pas ici sur
tous ces points.
Je veux surtout vous alerter sur les conséquences de ce texte au regard de ce que j’appelle le
modèle républicain. Ce dernier, jusqu’à ce jour, avec ses imperfections et malgré des accrocs
depuis plusieurs années, a permis d’assurer un minimum d’égalité de droit et de solidarité entre
les salariés mais aussi, au plan économique, entre les entreprises. Il a notamment conduit à ce
que la France soit le premier pays au monde quant au taux de couverture des travailleurs par
une convention collective (de l’ordre de 90%). Ce taux est largement dû au fait que la France est
une République indivisible, laïque, démocratique et sociale (art. 1 de la constitution). Sa devise
« liberté, égalité, fraternité » se décline logiquement dans notre modèle social :
* Liberté à travers la possibilité pour les salariés de bénéficier des droits collectifs, même
s’ils ne sont pas syndiqués, grâce à la généralisation des accords signés entre
interlocuteurs sociaux.
* Égalité à travers l’application au plus grand nombre possible de salariés des dispositions
des différentes réglementations (Code du travail, conventions collectives, accords
interprofessionnels, accords de branche) quelle que soit la taille de leur entreprise, leur
secteur professionnel ou géographique. Égalité aussi quand il s’agit de vérifier qu’un accord
est conforme à ce principe d’égalité et qu’il faut l’étendre à tous.
* Fraternité à travers le bénéfice des dispositifs de protection sociale solidaires et
égalitaires : Sécurité sociale, assurance chômage, etc.
Or, en mettant en avant la logique d’accords majoritaires, vous enfoncez un coin dans ce
principe. La ratification “ majoritaire ” d’un accord conduit, de fait, à accepter son caractère
dérogatoire.
De ce point de vue, un premier exemple concret est celui de la durée du travail. Accepter dans
la position dite commune de déroger dans l’entreprise, par accord majoritaire, au contingent
d’heures supplémentaires montre bien l’objet de tels accords : la dérogation.
Qui plus est, vous avez ouvert une brèche dans laquelle s’est engouffré le gouvernement qui en
profite pour vouloir déréglementer la durée du travail et supprimer dans les faits les 35 heures.
Bien entendu, il va de soi que nous sommes en total désaccord avec cette volonté
gouvernementale et nous continuons à considérer – je pense plus particulièrement à Bernard et à
François – que le retrait de signature empêcherait le gouvernement de se prévaloir d’un véhicule
prenant appui sur la position commune. Le gouvernement pourrait aussi renoncer à toute
disposition nouvelle en matière de durée du travail, mais aussi ne pas tenir compte du contenu de
la position commune.
D’une manière générale, privilégier les accords au niveau de l’entreprise au détriment des textes
législatifs ou conventionnels nationaux conduit à accentuer les disparités entre les salariés selon
leur entreprise. Et que dire des petites entreprises où, dans les faits, la liberté syndicale est
théorique et où les salariés se retrouvent seuls face à l’employeur ?
Le deuxième point de désaccord touche aux liens entre loi et contrat.
Quand un accord national est signé et qu’il nécessite des modifications législatives, il appartient
aux élus du peuple (Assemblée Nationale et Sénat) et à eux seuls de voter les lois.
Autant il est du rôle des signataires de demander aux pouvoirs publics (Gouvernement et
Parlement) de bien vouloir respecter l’accord signé et son équilibre, autant il serait dangereux
pour la démocratie de se substituer aux parlementaires.
Lorsqu’elle a suivi étroitement la transposition de l’accord du 11 janvier sur le marché du travail,
Force Ouvrière a fait valoir ses positions mais sans exiger des élus de la Nation qu’ils se
soumettent à l’accord. Si l’équilibre de l’accord n’avait pas été respecté, il était alors de notre
responsabilité de le dire et si nécessaire, d’annoncer le retrait de notre signature.
Je veux bien admettre que la sensibilité particulière de Force Ouvrière sur notre conception de
l’indépendance et de la liberté syndicales nous rend très sourcilleux sur ces questions, mais audelà,
il y va selon nous d’une conception de la démocratie et de la république sociale.
Si le seul rôle des élus de la nation est d’entériner les accords sans pouvoir les amender, alors
ce sont les signataires des accords qui deviennent, de fait, législateurs. D’où notamment (et je
m’adresse ici plus particulièrement à Laurence et François) notre refus catégorique de modifier
la Constitution de la République pour donner un tel rôle aux interlocuteurs sociaux. Il serait
d’ailleurs intéressant de savoir jusqu’où il faudrait aller dans une telle réécriture. Je rappelle
que l’article 27 de la Constitution dispose que « tout mandat impératif est nul ».
J’ajoute que dans le cas de la position dite commune dont vous avez demandé qu’elle soit très
rapidement transcrite, il ne s’agit même pas d’un accord en bonne et due forme mais comme le
nom l’indique, d’une « position », ce qui, juridiquement, n’est pas la même chose.
Enfin, je terminerai en m’adressant à Bernard et François.
Vous savez comme moi que les sujets de mécontentement sont, aujourd’hui, nombreux chez les
salariés : pouvoir d’achat des salaires, absence de prime transport, retraites, durée légale du
travail, avenir du service public républicain, dégradation des conditions de travail, précarité de
l’emploi, etc.
Certes nous n’avons pas tous, sur l’ensemble de ces sujets, les mêmes analyses et positions. Nous
le voyons, par exemple, sur les retraites, où Force Ouvrière ne veut pas que les salariés soient,
demain, conduits à cotiser 41 années pour avoir droit à une retraite à taux plein.
Mais l’efficacité suppose aussi de dire clairement les choses et d’agir avec détermination. C’est
aussi pourquoi, sur les retraites, nous avons proposé une journée de grève interprofessionnelle.
Cette proposition reste ouverte.
Fondamentalement, il y a un risque grave de dérive du modèle républicain vers le modèle anglosaxon.
Une telle transition ne se ferait pas sans risques et sans conséquences.
Face à de tels enjeux, qui dépassent les strictes questions d’appareil, un large débat est
nécessaire. On ne joue pas avec la République en catimini.
Cordialement.
Jean-Claude MAILLY
Secrétaire Général de Force Ouvrière
(1) Laurence PARISOT, Bernard THIBAULT et François CHEREQUE
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