Vingt heures, mardi soir. Le brouillard est tombé sur Dijon et les usines de la ZAE Cap-Nord s’arrêtent de tourner pour la nuit. Pourtant, au 32, avenue de Stalingrad, un feu de palettes annonce qu’ici une lutte se joue.
Dans les locaux du fabricant de hayons élévateurs en aluminium, six employés s’activent, la mine fatiguée. Ils passeront leur nuit ici, au cœur de l’usine
désertée par la direction. « Ça fait trois semaines qu’on occupe le site jour et nuit. Depuis que Erhel a été placé en liquidation judiciaire. » Même si la production est arrêtée depuis
septembre, certains ont gardé leur bleu de travail sur les épaules. Un réflexe d’ouvrier, paraît-il.
S’ils veillent 24 heures sur 24 sur « la boutique », c’est pour tenter d’obtenir des conditions de départ décentes certes, mais c’est surtout pour éviter que quelqu’un ne vienne piquer les
machines de la chaîne de production. « C’est tout ce qui nous reste après plusieurs années de gestion désastreuse menée par le groupe Fimopart », déplore Manuel, chef de file depuis le début du
conflit.
Alors, depuis presque un mois, la vie nocturne s’organise. Chaque métallo a un rôle bien défini. Ce soir, Pedro sera cuistot de fortune et fera griller
quelques entrecôtes pour ses camarades, sur un gril improvisé dans les ateliers. « La solidarité des gens nous aide à acheter ce qu’il faut », confie l’homme, qui n’a pas touché de salaire
pendant presque deux mois. Nono, lui, sera veilleur de nuit chargé de vérifier les allées et venues des visiteurs sur le site. « Mais je suis surtout responsable du feu de palettes ! Il faut
jamais qu’il s’éteigne. »
Passage de relais
La mobilisation non plus. Alors pour passer la nuit, Raphaël fait couler des litres de café et un jeu de tarot attend patiemment qu’une partie démarre. « Parfois, on va jouer dans les bureaux de
la direction. Là-haut, c’est tout confort !», s’amusent les ouvriers, ironisant que «la table est bien trop grande pour se passer les cartes ». Pour les gars « de nuit », il s’agit aussi
d’organiser les actions du lendemain. « On fait nos communiqués, on réfléchit à la suite du mouvement et puis, parfois, on parle de tout et de rien. » En fin de soirée, certains vont se reposer.
Et chez Erhel, on dort un peu partout : à l’infirmerie, entre deux machines ou dans les voitures. À 7 heures du matin, une nouvelle équipe prendra le relais.
Mais aujourd’hui, c’est peut-être la dernière. Les salariés ont avancé le nom d’un éventuel repreneur et les machines pourraient reprendre vie d’ici peu.
Marie Morlot
m.morlot@lebienpublic.fr
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