
Dans un entretien à Acteurs publics, le leader de Force ouvrière dénonce avec virulence la Révision générale des politiques publiques et estime que le Président n'en a pas suffisamment suivi la mise en oeuvre.
Selon ses calculs, 10 % des directeurs départementaux interministériels nommés en janvier 2010 ont déjà changé.
Vous venez d'actualiser le livre noir de la RGPP.
Quelles sont vos principales critiques contre cette démarche de réforme de l'administration ?
La RGPP a deux défauts principaux. Primo, elle procède d'une vision idéologico-budgétaire : il fallait réduire les dépenses publiques, donc le gouvernement a réformé l'État. Mais c'est
la logique inverse qu'il aurait fallu suivre. Se poser d'abord la question des missions des services publics, puis en déduire les réorganisations à mener. Le second défaut majeur est que
Nicolas Sarkozy et François Fillon se sont peu à peu désintéressés de la mise en oeuvre de la RGPP dans les ministères. La preuve : en mars dernier, lorsque je leur ai remis une liste de 11
exemples de dérives, ils ont eu l'air de découvrir les conséquences de la RGPP sur le terrain.
Quels exemples avez-vous détaillés au Président et au Premier ministre ?
J'ai particulièrement insisté sur l'expérimentation en cours dans les abattoirs porcins de Bretagne. Elle vise à réduire, voire à supprimer, les recours aux services vétérinaires publics en les
remplaçant par des normes préétablies et un système d'autocontrôle. Cela aboutit à un recul de la sécurité sanitaire, puisque les services vétérinaires ne réalisent plus l'inspection des
animaux vivants avant l'abattage dans certains cas. L'autre exemple, sur lequel Nicolas Sarkozy et François Fillon ont tiqué, touche à la gestion des fleuves. L'État a fortement réduit ses
effectifs dans la surveillance des berges et la gestion des crues. Ce qui signifie que les populations sont de moins en moins protégées contre les risques d'inondations liés à l'usure des
digues.
Les élus locaux souffrent-ils de ces réformes ?
Ce sont surtout les petites communes qui pâtissent de la baisse des effectifs de l'État, puisqu'elles ne peuvent plus s'appuyer sur les services ministériels. Les communes doivent de plus en
plus faire appel à des cabinets privés pour leurs chantiers d'aménagement, mais toutes n'en ont pas les moyens ! Cela a des effets très concrets pour la sécurité des populations. Exemple :
après la collision du 2 juin 2008 entre un train et un bus scolaire, le secrétaire d'État aux Transports de l'époque, Dominique Bussereau, avait demandé aux préfets de coordonner des
diagnostics sécurité de tous les passages à niveaux de France. Les conseils généraux les ont menés, mais pas les petites communes par manque de moyens financiers et humains. Et les directions
départementales des territoires de l'État, réduites à la portion congrue, n'ont pas pu les épauler, ni contrôler les diagnostics.
Comment ces transformations sont-elles ressenties par les fonctionnaires ?
Les agents de l'État souffrent de la RGPP à tous les niveaux hiérarchiques. À FO, nous recevons de plus en plus d'informations de la part de hauts fonctionnaires qui ne sont pas militants chez
nous, mais qui souhaitent dénoncer les effets des réorganisations en cours. Certains éminents serviteurs de l'État, habitués au devoir de réserve, ne supportent plus ces remises en cause du
service public. Le malaise des cadres publics se traduit d'ailleurs par une instabilité aux plus hauts postes. Selon nos chiffres, environ 10 % des directeurs et directeurs adjoints nommés
à la tête des nouvelles directions départementales interministérielles en janvier 2010 ont déjà changé. Certains ont été démissionnés, d'autres ont préféré rejoindre un autre poste dans
leur ministère d'origine ou une collectivité locale. D'autres encore sont partis dans le privé. C'est bien le signe que la réforme de l'administration territoriale de l'État n'est pas soutenue
par ceux qui sont censés la mettre en oeuvre.
Propos recueillis par Laurent Fargues
Commenter cet article