Force Ouvrière de Côte d'Or

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Zoom sur... Le suicide, un accident du travail ?

Publié le 16 Juillet 2007 par UDFO21 in CHSCT

 

 L'Union Départemental FO 21 2 rue Romain Rolland 21000 Dijon vous informe : 

Les suicides de plusieurs salariés travaillant notamment dans l’automobile ont mis récemment en évidence un phénomène qui, s’il n’est pas nouveau, reste mal identifié. Il n’existe en effet aucune statistique sur le nombre des suicides liés à l’emploi.

par Michel Pierchon,
Lauréat de l’Ordre des Avocats, Spécialisé en droit social ;
Chargé de cours aux Universités de Paris II et Montpellier I


Globalement, le nombre de décès par suicide s’est accru notablement en France, au cours des 20 dernières années mais il tend à se stabiliser, autour de 12 000. Leurs mobiles sont délicats à déterminer avec exactitude. En particulier, s’agissant des salariés, le partage entre ce qui ressort de la fragilisation personnelle et ce qui est imputable aux conditions de travail n’est pas simple à opérer.
Précisément, les juridictions de sécurité sociale ont eu à se prononcer sur cette question à l’occasion de demandes de reconnaissance de suicides ou de tentatives en tant qu’accidents du travail. Les victimes ou leurs ayant droit mettent de plus en plus en avant la dégradation de leur situation au travail pour tenter de faire fléchir la sécurité sociale qui avait plutôt tendance à s’opposer à la qualification d’accident du travail aussi bien en cas de suicide sur les lieux du travail qu’au dehors. Par deux arrêts rendus au cours du premier trimestre 2007, le 22 février et le 14 mars 2007, la 2e cham-bre civile de la Cour de cassation (en charge des litiges de sécurité sociale) a pris position, inclinant dans le sens d’une telle reconnaissance, tout en prenant soin de l’entourer de réserves.
Il importe de prendre la mesure de cette évolution en expliquant les critères mis en œuvre dans le cadre du contentieux, ce qui nous conduira à différencier au regard du régime de la preuve le cas du suicide ou de la tentative de suicide au travail de celui intervenu au domicile. En premier lieu, revenons sur la notion clé d’accident du travail à la lumière de la définition donnée par le code de sécurité sociale lui-même. Cela nous permettra de cerner les difficultés d’approche que pose l’éventuelle reconnaissance d’un suicide.

Définir la notion d’accident du travail


« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».
De cette définition offerte par l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale découle ce qu’il est convenu d’appeler la présomption d’imputabilité pour tout accident survenu à un salarié par le fait même du travail ou à l’occasion de celui-ci (cf. Michel Pierchon, Les contentieux de la sécurité sociale, Resoc, 2006, p. 78 et s.).
Encore faut-il caractériser ledit accident, ce que ne précise pas le Code la sécurité sociale. Pendant longtemps en jurisprudence, c’est le concept de la soudaineté qui a prévalu pour caractériser l’accident du travail soudain et brutal et le distinguer de la maladie professionnelle où l’affection s’inscrit dans la durée.

La Cour de cassation énonce aujourd’hui avec souplesse que constitue un accident du travail « un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le
fait ou à l’occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d’apparition de celle-ci » (Cass. soc. 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. civ. V, n° 132, p. 130, Jurisprudence sociale Lamy, n° 124-5). Cette lésion peut, du reste, être aussi bien d’ordre psychique que physique.
Seule une cause totalement étrangère au travail est de nature à exclure le caractère professionnel de l’accident pendant le travail.
L’accident du travail se distingue de l’accident de trajet par le fait qu’il se produit sur le lieu et aux heures de travail, pendant que le salarié est sous la subordination de l’employeur. Il se distingue de la maladie professionnelle par le caractère soudain de la lésion.

Soulignons que les juges du fond, Tribunaux des affaires de sécurité sociale et Cour d’appel, disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail et donc s’il revêt ou non la qualification d’accident du travail.


Le suicide au regard de la définition de l’accident du travail


Le juge de sécurité sociale a fait montre d’une grande prudence conduisant à des appréciations nuancées pour ne pas dire réservées.

Deux arrêts du même jour en rendent compte :
– dans l’un, les juges du fond avaient relevé que le salarié avait été gravement éprouvé quelques mois avant son suicide par un accident du travail qui avait motivé un long arrêt de travail et entraîné une diminution de ses capacités physiques et professionnelles, suivi d’une dépression grave, réactionnelle et progressive laquelle avait été à l’origine du suicide. Le rattachement du suicide à l’accident du travail, est déclaré fondé, ledit accident avait été la cause génératrice de cet acte de désespoir (Cass. soc., 23 sept. 1982, n° 81-14.942, Bull. civ. V, n° 524) ;
– dans l’autre, le refus de déclarer imputable au travail le suicide d’un chauffeur routier qui s’était donné la mort par pendaison dans la cabine de son camion a été entériné. La Cour d’appel avait constaté que le suicide du salarié constituait un acte volontaire et réfléchi totalement étranger au travail qu’il exécutait ce jour-là. Dans cette affaire en effet, le salarié en question s’était attaché à une jeune femme, dont le refus de devenir sa maîtresse a provoqué son geste (Cass. soc., 23 sept. 1982, n° 81-14.698).

Citons encore une décision de la Cour de cassation censurant une cour d’appel qui avait reconnu le bénéfice de la législation sur les accidents du travail aux ayants droit d’un salarié qui s’était donné la mort : le décès étant survenu au temps et au lieu du travail, lesdits ayants droit bénéficiaient de la présomption d’imputabilité et la caisse n’apportait pas la preuve que son acte de désespoir dû au surmenage et à des difficultés professionnelles avait été volontaire et réfléchi. La cassation intervient dans la mesure où le suicide de l’intéressé était lié à un état dépressif dont il était atteint depuis quelque temps et qu’ainsi il n’était pas imputable au travail qu’il exécutait le jour de sa mort, en sorte qu’il ne pouvait constituer un accident du travail (Cass. soc., 4 févr. 1987, n° 85-14.594, Bull. civ. V, n° 64, p. 41).

Si l’on passe au suicide du salarié à son propre domicile, à un moment ou il n’exécute pas sa prestation de travail, cette circonstance est suffisante pour écarter la qualification d’accident du travail (cf. également, Cass. civ., 3 avr. 2003, n° 01-14.160, Jurisprudence sociale Lamy, n° 124-18).

Les choses ont évolué depuis, renouvelant en partie la question. C’est le sens des deux arrêts de 2007 qu’il convient d’analyser à présent. Abordons d’abord celui qui a trait au suicide sur le lieu du travail.

Le suicide sur le lieu du travail reconnu comme un accident du travail


Le 25 août 2000, une salariée tente de se donner la mort en absorbant des médicaments sur son lieu de travail. La caisse primaire d’assurance maladie refusant de prendre en charge cet accident à titre professionnel, l’intéressée saisit la juridiction de sécurité sociale d’un recours qui aboutit à l’admission de l’accident du travail. En effet, la salariée a été victime ce jour là d’un « brusque épisode de décompensation survenant dans un état anxiodépressif », ce qui la rendait recevable à invoquer un accident du travail sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’état pathologique antérieur jugea la Cour d’appel.

Opinion « confirmée » par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 14 mars 2007, n° 05-21.090) sous la forme d’une énonciation du rappel de la définition de l’accident du travail en premier lieu : « constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci ».
Dans cette affaire, la cour d’appel ayant relevé que  le 25 août 2000, la salariée avait été hospitalisée à la suite d’une intoxication médicamenteuse volontaire, et que ce brusque épisode faisait suite à un échange de propos avec sa supérieure hiérarchique sur les lieux et pendant le temps de travail a valablement pu estimer, sans trancher une difficulté d’ordre médical, que ces faits, inhérents à un état anxiodépressif préexistant, étaient liés à la dégradation de la relation de la victime avec cette supérieure hiérarchique, constatée dans le cadre du travail.
La présomption d’imputabilité s’applique de telle sorte qu’il n’incombe pas au salarié de démontrer le lien entre le suicide et les conditions de travail : dès lors que la lésion se manifeste au temps et au lieu du travail, elle est présumée constituer un accident du travail.
C’est ensuite à l’employeur ou à la caisse d’assurance maladie en défense de renverser cette présomption simple, en établissant que l’accident est dû à une cause vraiment étrangère au travail. Si par exemple le suicide a pu être analysé comme un « acte réfléchi et volontaire de la victime totalement étranger au travail ». Mais pas si ce suicide est intervenu « dans un moment d’aberration exclusif de tout élément intentionnel » (Cass. soc. 20 avr. 1988, n° 86-15.690, Bull. civ. V, n° 241).

L’altération de l’état psychologique du salarié, attestée par des témoignages produits, et liée aux vicissitudes des relations professionnelles du salarié avec son employeur, conduit à écarter et, tout au moins, à atténuer sensiblement, le caractère volontaire et réfléchi de l’acte suicidaire qui, dès lors, ne peut être considéré comme une faute intentionnelle de la victime au sens de l’article L. 453-1 du Code de la sécurité sociale (Cass. soc. 24 janv. 2002, n° 00-14.379).
Reste qu’une tentative de suicide, puisant son « origine dans des difficultés privées et personnelles » du salarié à le supposer démontré, échappera à la qualification d’accident du travail (Cass. 2e civ., 18 oct. 2005, n° 04-30.205 ; Cass. soc., 24 janv. 2002, n° 00-14.379 précité).


Le suicide en dehors du lieu du travail reconnu comme un accident du travail


Dépassant ce stade, la Cour de cassation n’a pas hésité à qualifier d’accident du travail le suicide survenu non plus sur le lieu de travail mais au dehors, alors même que l’exécution du contrat était momentanément suspendue (Cass. 2e civ. 22 févr. 2007, n° 05-13.771, à publier au bulletin civil).
L’accident du travail est non seulement celui intervenant à l’occasion mais encore par le fait du travail.

Le 27 septembre 2001, un salarié au service d’un employeur depuis 1984, avait tenté de mettre fin à ses jours à son domicile, alors qu’il se trouvait en arrêt maladie depuis le 28 août 2001 pour syndrome anxiodépressif. La caisse primaire d’assurance maladie accepte la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle. Une solution approuvée par la Cour de cassation car d’une part, « un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu’il est survenu par le fait du travail » et, d’autre part, le salarié avait bien rapporté la preuve qui lui incombait, d’établir le lien avec le travail.
Accident du travail de surcroît dû à une faute inexcusable de l’employeur. La Cour de cassation pour « entériner » la faute inexcusable admise au bénéfice de la victime souligne que « l’équilibre psychologique du salarié avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de son employeur, ce qui caractérise le fait que ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

La présomption d’imputabilité ne joue pas en la matière et c’est bien sur le salarié demandeur que repose la justification du lien entre le suicide et la dégradation des conditions de travail alléguée.

 

Encadré

Renault a intenté un recours contre la CPAM


Le 27 juin dernier, Renault a déposé un recours contre la décision de la CPAM des Hauts-de-Seine qui a qualifié le suicide de l’un de ses salariés en accident du travail. L’affaire reste donc à suivre…



Les cahiers Lamy du CE - juillet 2007
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